Le cinéma et les jeux vidéo étaient faits pour s’aimer. Mais après une trentaine d’années de vie commune, il est peu dire que les deux univers sont assez largement incompatibles. Les films adaptés de jeux sont ratés (dans le meilleur des cas : sinon ils sont ridicules) et les jeux inspirés de licences cinéma ressemblent à des escroqueries. Voici le récit d’un mariage qui a toutes les chances de se finir en divorce.
On ne peut pas être et avoir E.T.
En avril 2014, une grande légende urbaine du jeu vidéo a trouvé son aboutissement : des centaines de cartouches ont été sorties de terre dans le désert d’Alamogordo, au Nouveau-Mexique, USA. Elles avaient été enterrées, en 1982, par l’éditeur Atari, fabricant de la célèbre Atari 2600.
De quel jeu s’agissait-il ? D’une adaptation de film : E.T. l’extraterrestre, l’énorme succès réalisé par Steven Spielberg la même année. Souhaitant surfer sur le triomphe de la petite créature intersidérale, Atari avait développé un jeu considéré aujourd’hui comme un ratage cosmique. L’échec commercial et critique du jeu a entraîné le marché du jeu vidéo dans sa grande crise des années 80.
Il faut y voir un symbole : une crise énorme produite par la volonté de tendre une passerelle entre le cinéma et les jeux vidéo (une industrie alors toute récente et en plein essor). Les aventures d’E.T. sur petit écran créèrent un trou noir. C’était bien avant que l’industrie du cinéma, à son tour, se lance dans les adaptations de jeux vidéo – en pensant peut-être que l’inverse fonctionnerait mieux.
Film et jeux vidéo : pourquoi c’est un mariage compliqué
Mais, depuis 1982, force est de constater que l’histoire d’amour entre les films et les jeux vidéo n’a pas donné de très beaux enfants. Leur relation a plutôt accouché de monstres protéiformes et baveux. Et c’est vrai dans les deux sens : régulièrement adaptées en jeux vidéo, les licences cinématographiques majeures ne sont pas toujours récompensées à leur juste valeur filmique.
Comment expliquer cette incompatibilité ? Prises à part, les deux industries fonctionnent à merveille. Les consoles ne se sont jamais autant vendu et les films n’ont jamais aussi bien marché (2015 a été l’année des records de démarrage et de recettes mondiales). Mais, bizarrement, unissez les deux et c’est la catastrophe atomique. Comme si leurs chromosomes ne pouvaient pas se combiner.
Les raisons sont innombrables : particularités trop marquées, structures et esthétiques distinctes, manque de créativité… Mais il nous semble toutefois que deux arguments, majeurs, écrasent tous les autres : la précipitation et le mercantilisme.
Précipitation, parce que les adaptations de jeux en films et inversement sont souvent produites et réalisées très rapidement pour conserver tout leur potentiel économique. Si E.T., le jeu, était sorti dix ans après le film, le studio aurait craint que les spectateurs aient fini par l’oublier. Et boudent leur cartouche. Alors ils ont fait vite – et voilà le résultat.
Mercantilisme, parce que le marché frontalier entre les deux mondes est extrêmement juteux. Pour exemple, le jeu GTA V s’est vendu, toutes consoles confondues, à 54 millions d’exemplaires dans le monde. Il y a de quoi attirer l’attention des producteurs hollywoodiens, toujours prêt à arnaq… à satisfaire leur public.
Les films adaptés de jeux
Lorsqu’un studio choisit d’adapter un jeu vidéo, il se donne un maximum de chances de produire un succès : il a déjà, sur la table, un univers, un ou plusieurs script(s), des personnages, des thèmes musicaux. Et, surtout, un public potentiellement énorme. Certes, les fans expriment aisément leur désaccord sur la production, mais cela n’empêchera en rien le film de faire un carton.
Sauf que le studio se donne aussi toutes les chances de rater, avant tout par fainéantise : pourquoi faire bien son travail quand on sait pertinemment qu’on rentabilisera son projet quoi qu’il arrive ? Le secret, c’est de sélectionner uniquement les gros succès commerciaux vidéoludiques, quitte à choisir un truc inadaptable : des jeux de baston (Street Fighter, Mortal Kombat) ou des puzzles (bientôt Tetris !).
Lorsque, en 1993, Hollywood Pictures sort l’adaptation cinéma de Super Mario Bros – l’un des plus mauvais films de tous les temps, et de très loin –, ils signent déjà le déclin de ce mariage pourtant prometteur. C’était prévisible : comment peut-on choisir, parmi la vastitude des possibilités, de porter à l’écran les aventures d’un plombier en salopette rouge qui se contente de casser des blocs ?
Les jeux adaptés de films
L’inverse est tout aussi vrai. A ceci près que les adaptations de films en jeux vidéo connaissent des fortunes assez diverses. Ciné Pop rappelle d’ailleurs qu’un gros succès commercial au cinéma donne quasiment systématiquement lieu à une version en jeu vidéo – encore une fois, le public potentiel est gigantesque. Mais depuis E.T., des efforts certains ont été faits.
Les licences Disney et Star Wars sont les plus adaptées de tous les temps. Chaque dessin animé (ou presque) du studio aux grandes oreilles a droit à son portage sur consoles, souvent sur plusieurs machines différentes. Quant aux Stars Wars, ils détiennent le record du plus grand nombre d’adaptations. Aujourd’hui, le studio Marvel (qui appartient à Disney, comme Star Wars) tient la corde.
Certaines licences fonctionnent mieux que d’autres. La firme Lego a notamment trouvé un bon créneau avec ses adaptations estampillées « Lego » : Lego Star Wars, Lego Marvel, Lego Jurassic World… Les petites briques assurent. Elles ont même, et c’est rare, opéré un retour vers le cinéma avec le film La Grande aventure Lego en 2014. La boucle est ainsi bouclée.
Film et jeux vidéo ont tout de même eu quelques beaux rejetons
Pour autant, la catastrophe n’est pas totale. Il existe quelques exceptions, des jeux vidéo qui ont eu droit à une belle adaptation, menée de main de maître par de bons cinéastes et produites par des studios impliqués.
S’il faut, en règle générale, se méfier des réalisateurs qui se disent « fans » d’un jeu lorsqu’ils prennent les commandes de son adaptation (la preuve éclatante : Paul W.S. Anderson et ses Resident Evil), Christophe Gans a fait du super boulot avec Silent Hill (2006). Non seulement le film respecte l’œuvre originale, mais il parvient à projeter sur grand écran son atmosphère angoissante.
Une autre réussite artistique – Final Fantasy, les créatures de l’esprit (2001) – fut malheureusement un sévère échec commercial, qui manqua pousser le studio Squaresoft à la faillite. Pourtant, en adaptant sa célèbre série fantaisiste, Hironobu Sakaguchi a réussi à transposer intelligemment son univers en sachant s’en affranchir suffisamment pour rendre le film unique.
Ne désespérons pas, donc ! Alors que les projets d’adaptation se multiplient, surfant sur des jeux vidéo triomphants (eux-mêmes souvent inspirés du cinéma, comme Assassin’s Creed ou Uncharted), il n’est pas impossible que les studios apprennent de leurs erreurs et tentent de satisfaire réellement leur public.